Transat J4 – Noël approche à grandes vagues

Cette quatrième journée démarre sous le signe des préparatifs de Noël, comme vous pouvez le voir sur la photo (qui n’est pas encore arrivée 😅) qu’on a réussit à transmettre du bord aujourd’hui. Magali, Martin et Mathilde installe des décorations dans le bateau pendant la sieste d’Antoine. Guirlandes lumineuses et sapin en feutrine font leur apparition dans le carré aux côté du calendrier de l’Avent-lanterne réalisés sur des plans fournis par Bonne-Maman quand nous étions encore à Las Palmas fin novembre. Les enfants ouvrent une case par jour, ce qui rythme la traversée tout comme l’autre calendrier de l’Avent, rempli de friandises qui est suspendu dans le couloir des parents.

Loela et son capitaine se sentent pousser des ailes

Antoine travaille depuis plusieurs jours pour essayer de trouver le bon équilibre entre vitesse, confort et sécurité sous voile. Il faut savoir qu’il a beaucoup, beaucoup, navigué sur notre petit voilier familial qui est très sensible aux erreurs de barre et de positionnement, en particulier au portant dans la brise et les vagues (les conditions typiques de la transat).

Immense incise du capitaine : à ma grande surprise, mon expérience vélique jusqu’ici, loin de me servir à exploiter le maximum du potentiel de l’Outremer 45, me limite beaucoup car j’ai des sensations atroces qui surgissent dès que le bateau prend un peu de gîte, que son étrave pointe vers le bas dans les vagues ou que l’arrière dérape poussée par une vague. Ce sont les signes que j’avais en Corsaire que le bateau s’apprêtait à partir « au tas », c’est-à-dire à se coucher sur la tranche si je n’agissais pas immédiatement à la barre ou à l’écoute. Or dans notre catamaran, il faut que le pilote automatique gère sans notre intervention si nous voulons traverser sans nous épuiser et sereinement. Et le pilote ne supprime pas ces sensations, et d’ailleurs même en barrant moi-même, comme je l’avais fait au sud de la Sardaigne en juillet, j’avais eu peur quand même. En effet, se mettre sur la tranche, sur un catamaran, ce serait irrémédiable…

Clairement, je n’ai pas assez investi depuis le début de ce projet dans ma formation aux limites du catamaran pour savoir distinguer clairement les situations dangereuses, les situations risquées pour le matériel et les situations sans risque particulier comme celle où nous nous trouvons à l’heure où je vous écris avec le bateau qui se dandine dans tous les sens poussé par 15nds de vent et surfant à 8nds sous Gennaker et Grand-voile haute.

Heureusement, j’avais détecté l’étendue de mon ignorance lors du voyage en Méditerranée et cherché à la combler depuis. J’avais organisé une session de coaching pendant le chantier début septembre avec Julien, qui m’avais débloqué sur de nouvelles situations mais je n’avais pas traité le cas du portant abattu avec gennaker. Et ce début de transat et en particulier ce quatrième jour est plutôt fondateur de ce côté là. Depuis plusieurs jours, j’avais essayé de collecter les informations sur les limites de Loela dans ce cas auprès de skippers beaucoup plus expérimentés que moi chez Outremer (Marc) mais aussi des skippers d’autres bateaux. Mes enfants se sont d’ailleurs bien moquées de mes « papotages » de ponton à rallonge et de mes discussions WhatsApp super-techniques !

Ce mercredi 11 décembre au soir, à la sortie de ma sieste, je constate que le réglage que j’avais fait avant m’a permis de ne presque rien sentir lors de la sieste et que le vent a bien forcit au-delà de ce qui m’apparaissait raisonnable pour garder Gennaker + GV pleine mais le bateau fonce sans heurts dans la mer. Pour les plus techniques, j’avais mis le pilote pour qu’il suive un angle de vent apparent. Du coup, quand le bateau accélère ou que le vent forcit, le pilote abat et diminue donc la pression du vent. Cela rend la trajectoire bien plus fluide et nous passons bien dans les vagues sans sortie de route ni coup de gîte puissant. D’autant plus que je l’ai laissé dans un mode « moins agressif » qui corrige progressivement les écarts de route. Nous atteignons dans le noir de la nuit tombée des vitesses supérieures à 15nds tout en dînant avec la vaisselle sur la table ! C’est le moment où nous avons pris la photo.

Nuit intense sur mer immense

A la fin du dîner, j’hésite longuement à laisser le gennaker sachant que le vent doit monter un peu et que nous sommes plutôt en haut de sa plage d’utilisation (celle ne présentant aucun risque), que le vent risque d’augmenter et que nous avons eu du mal à le ranger la nuit dernière avec Magali. Finalement, je prends la décision de le garder jusqu’à ce que le vent atteigne 25nds et nous le roulerons alors. Arthur est d’accord avec ce choix qui nous permet de continuer à avancer vite et Magali est prévenue qu’elle pourra être appelée pour rouler (elle en dormira très mal, ce n’était pas un cadeau).

Jusqu’au quart d’Arthur tout se passe très bien mais vers minuit, l’alarme annonçant que le vent dépasse 25nds retentit de plus en plus longuement. Arthur me réveille pour que nous enroulions le gennaker. Je décide de le faire seul avec Arthur. Pour ne pas faire la même erreur que 24h plus tôt, je fais largement abattre Loela (mais oubliant que mon réglage fait qu’il va lofer dès que le gennaker sera choqué et que Loela va ralentir…) et je vais, attaché, me mettre à l’avant pour enrouler au plus près de l’enrouleur et surveiller l’enroulement pendant qu’Arthur gère les écoutes. Ce seront 3 ou 4 longues minutes extrêmement intense à me brûler les mains et faire monter le cardio au maximum, mais Arthur assure aussi à l’écoute et l’enroulement est parfait. Par contre, je vais mettre près de 12h à récupérer de l’effort, la prochaine fois, j’abattrais encore plus. Par contre les sensations, avec le bateau qui fonce au-dessus de la mer noire et blanche d’écume, la voile qui bat et les écoutes qui claquent, sont grisantes. Juste avant d’enrouler, nous enregistrons le record du bateau à 19,6nds !

Une fois le solent déroulé, nous reprenons un cap direct vers le Cap Vert, ou presque, et la situation revient au calme. Il y a un mois j’aurai réduit encore plus avec un ris mais je sais maintenant que la combinaison GV pleine + solent est sûre au grand largue jusqu’à au moins 25nds établis donc je met l’alarme à 28nds et elle ne sonnera plus.

Magali et moi auront du mal à tenir éveillés pendant nos quarts car Magali a mal dormi avant que nous n’enroulions 1h avant son quart et moi-même j’ai mal dormi après l’effort intense produit. Nous faisons des siestes de 20 minutes entre deux tours d’horizon. Fin de l’incise du capitaine, reprise du récit.

Récupération et remise en route

Mathilde se lève la première au lever du soleil et fait du crochet en attendant que tout le monde se réveille. La mer est plus agitée avec les vents forts de la nuit. Chacun gère son petit mal de mer le matin. Une fois Magali réveillée, Antoine va faire la sieste. Magali reçoit alors l’appel VHF d’un bateau qu’on ne voit pas ni à l’AIS ni en visuel et qui demande la météo.

Après la sieste d’Antoine, le vent ayant bien baissé pendant la fin de nuit et le matin, nous renvoyons le gennaker, juste avant de croiser deux bateaux d’un coup. Le premier, Sofia VI, est un voilier avec qui nous échangeons à la VHF sur nos plans respectifs et les prévisions météo. Ils vont à Antigua, le détour imposé par la météo est encore plus grand que nous puisque Antigua est au Nord des Antilles. Le second est un pétrolier vide qui descend vers l’Afrique, probablement pour refaire le plein.

Nous empannons pour déjeuner de saucisses et de semoule aux raisins secs, pour la première fois en terrasse car la température remonte et nous avons du soleil alors nous en profitons. Le matin, Martin nous a préparé un gâteau au yaourt que nous dégustons en dessert. Ensuite Magali va faire sa sieste pendant que chacun se repose en jouant, lisant ou prenant sa douche.

Au milieu de l’après-midi, c’est l’heure de faire le point sur les réserves. La batterie est beaucoup mieux que les jours précédents, nous n’avons consommé que 27% depuis hier soir, soit 2h30 de moteur à faire, plus une heure pour faire de l’eau et remonter de 33% à 50% de réserve. Toujours aucune perte de provision à déplorer. Il nous reste des provisions fraîches en abondance. Tous sauf Magali et Alice se lancent dans une partie de Surburbia qui durera presque jusqu’au coucher du soleil.

Nous passons la barre des 190MN dans la journée à 17h, 193 pour être précis. Nous nous demandons quel confort il reste quand on fait des journées de 200MN car la journée a été un peu secouée quand même. A l’heure du goûter la mer a faibli un peu et nous sommes toujours sous gennaker et GV dans 15 à 18nds de vent et la mer s’est un peu rangée. Nous faisons cap vers les îles du Cap Vert et devrions rester sur cette amure pas loin de 24h pour ensuite éventuellement faire un contre-bord pour gérer le point de passage au Cap Vert samedi dans la journée avant de tourner à droite et de faire de l’Ouest enfin !! Il reste un peu moins de 2500MN à parcourir sur la longue route évitant les dépressions et les sargasses. A demain pour la suite des aventures !