Saison 2 Ep 9 : Traversée Sardaigne – Grèce 

Nous venons de vous délaisser deux semaines pour cause de vie à bord très intense, vous comprendrez en lisant les prochains épisodes après celui-ci, mais reprenons notre narration là où nous l’avions laissée

Après toutes nos aventures, nous sommes lundi 8 juillet au matin et la fenêtre météo que l’on attendait tant semble toujours présente avec un peu de vent pour avancer et surtout pas plus d’un mètre de vagues. C’est parti pour notre plus grande traversée de notre vie : 5 ou 6 jours sans toucher terre.

Traversée Sardaigne – Grèce Jour 1 

A 6h le réveil sonne pour le grand départ de Capo Ferrato. Le soleil se lève sur les rochers. Comme prévu le vent est faible, on grée le code zéro (grande voile d’avant légère pour vent faible). Malgré les vagues faibles, on préfère quand même tous prendre le médicament après le petit-déjeuner pour s’assurer un état de l’équipage au top. À 7h30 on lève l’ancre et une demi-heure plus tard on coupe les moteurs pour glisser sur l’eau. Le vent tourne beaucoup… il faut régler les voiles à chaque bascule. Bon-Papa, qui nous suit précisément à distance sur Navygatio, nous appelle pour nous souhaiter une bonne navigation. En effet le réseau téléphonique et internet GSM / 4G n’est disponible que près des côtes. Au bout de quelques dizaines de miles nous sommes en zone blanche et nous apprécions le silence. 

A distance des côtes, nous conservons un minimum de moyens de communication grâce à des connexions via satellite. Nous en avons besoin essentiellement pour la sécurité du bateau : prendre la météo régulièrement (deux fois par jour pendant cette traversée), contacter le centre de consultations médicales maritimes (CCMM) qui nous permet d’avoir un avis médical en cas de problème à bord et enfin pouvoir alerter et communiquer avec les secours s’il nous arrive quelque chose qui nécessite leur intervention.

Nous avons choisi des moyens satellites les plus sobres possibles, ceux qui fonctionnent avec la constellation iridium qui compte moins d’une centaines de satellites dans l’espace (Starlink ce sera plus de 200 fois plus…) et qui ne consomment que peu d’énergie à bord (la petite batterie interne de chacun de nos appareils leur permet de tenir la journée et ils se rechargent en USB). Ils peuvent être embarqués à bord de notre radeau de sauvetage dans les cas les plus critiques.

Enfin, nous souhaitons pouvoir « déconnecter » au maximum lorsque nous nous éloignons de la côte pour pouvoir vivre cette expérience en famille sans être constamment sollicités par l’extérieur à distance. Le très faible débit des connexions iridium nous l’impose naturellement (2,4kb/s contre plus de 200Mb/s pour Starlink)

À 10h le vent monte alors nous roulons le code zéro et déroulons le solent qui est plus petit et donc plus adapté pour le vent supérieur à 15 nœuds. Au bout de 2h le vent diminue, on fait la manœuvre inverse et encore 2h après on n’avance plus alors on allume un moteur. On profite de cette énergie supplémentaire pour faire tourner le dessalinisateur et produire de l’eau douce car ça consomme 50 A/h et on doit garder de l’énergie pour les instruments de navigation et le pilote automatique qui va barrer en continu à notre place.

Après le déjeuner fait de taboulé maison (impossible d’en trouver en boîte en Sardaigne), chacun peut regarder un écran et Magali ferme les paupières. À 16h le vent se réveille aussi de la sieste, et nous pouvons remettre le code zéro. Antoine peut aller se reposer pour être frais pour la nuit.

La gestion du sommeil est un grand sujet des navigations au long cours car il faut qu’il y ait toujours une personne en charge de surveiller les alentours pour ne pas percuter un obstacle (cargo, ferry, pêcheur, bateau de plaisance ou casier de pêche) et pour veiller à la bonne marche du bateau (suivre la direction en fonction du vent et régler les voiles en conséquence)

Magali et les enfants se lancent dans une partie de Cluedo : à 5 ça prend un peu de temps de trouver l’assassin du docteur Lenoir, l’arme et le lieu du crime ! 

Pour l’apéro nous avons un magnifique spectacle aquatique d’une bande de dauphins qui nous croise : quelle belle conclusion pour cette première journée de navigation. 

Le jour décline et fait place à la nuit, nous partons pour une nuit de quart avec un vent faible qui nous fait alterner entre code zéro et moteur, d’abord Arthur de 21h à 23h puis Magali et Alice de 23h à 1h puis Antoine de 1h à 4h puis Magali de 4h à 6h puis Arthur de 6 à 7h et enfin Antoine qui s’occupe de la matinée.

Traversée Sardaigne – Grèce Jour 2

Au lever du soleil on voit la Sicile et un peu plus tard on aperçoit les côtes tunisiennes. C’est la première fois qu’on aperçoit le continent africain en bateau !  Le vent lance ses dernières rafales quand nous doublons les îles Egades par le Sud, pendant une demi-heure Antoine fait passer le bateau par toutes les combinaisons de voile : Code Zéro puis Solent, puis un ris, et juste quand ces manœuvres sont terminées, le vent se calme tout à fait et c’est partie pour une trentaine d’heures au moteur. Nous avons décidé d’avancer au moteur car nous sommes tenus par un timing pour l’arrivée en Grèce. Sinon nous nous serions sans doute posés pour attendre au mouillage près des îles de l’Ouest de la Sicile.

Vers 11h une hirondelle se pose à bord pour se reposer pendant quelques temps. Il n’y a pas de vent et la température monte, il fait 35 degrés dans le bateau : Antoine met la canopée au dessus du trampoline et on gonfle un pouf pour Arthur qui peut lire/ jouer à l’aise. L’après-midi est paisible entre sieste, lecture, activité manuelle et jeux. Alice réalise des licols pour ses figurines de chevaux.

On longe le sud de la Sicile avec peu de vent et surtout pas de vagues. On aura quand même la chance de faire 3h de voile sous code zéro. Mais la nuit s’annonce encore plus calme, ce sera du moteur pour 24h encore.

On se rapproche au maximum de la terre pour pouvoir capter assez de réseau 4G pour pouvoir regarder le match de demi-finale France – Espagne pendant le début de nuit ce qui permettra d’éveiller Arthur pendant son premier quart malgré la défaite des Bleus…

Pour les quarts on va faire des périodes plus longues pour que chacun dorme plus longtemps d’affilée : Arthur de 21h à minuit puis Magali de minuit à 3h puis Antoine de 3h à 8h. Les quarts de nuit sont plutôt calmes mais nous nous astreignons à remplir notre livre de bord pour garder trace de nos navigations. Il existe des livres de bord tout fait mais nous avons décidé de partir sur un carnet vierge pour pouvoir laissser un peu libre cours à notre créativité. Un exemple de page extraite du livre de bord de cette nuit là ci-dessous.

Magali slalome entre les cargos qui remonte de Suez et voit une plate-forme pétrolière ! Antoine profite du calme de l’aube humide pour tenter de nettoyer le pont et les vitres du sable orange. C’est difficile d’avoir assez d’eau pour bien l’évacuer. La récupérer avec un seau est assez contraignant voire dangereux pour le seau qu’on pourrait lâcher ou pour l’équipier qui pourrait tomber à l’eau, entraîné par le seau. Seuls les panneaux solaires, la moitié du toit du rouf et une partie du pont à l’avant seront à peu près nettoyés avant que la chaleur et les risques ne fassent renoncer Antoine.

Traversée Sardaigne – Grèce Jour 3

Mercredi 10 juillet on continue de longer le sud de la Sicile sans vent. Antoine peut remettre la canopée pour faire de l’ombre et de la fraîcheur. Martin et Mathilde se lèvent vers 8h30. Mathilde va faire un quart de jour en surveillant les bateaux autour toutes les 10 minutes. Encore une journée tranquille où on profite du réseau pour se renseigner sur la Grèce auprès de Guillaume qui y était l’année précédente avec Sylvaine sur leur RM 900 Zest of Izenah (lien Guillaume). Il y a une taxe à payer en ligne pour pouvoir naviguer en Grèce. Antoine suit aussi la consommation de gasoil qui est plus importante que ce qu’il avait prévu au départ… il va falloir faire un petit peu attention.⚠️ À la tombée de la nuit un groupe de dauphins est en vue ! Il y en a plusieurs groupes à quelques centaines de mètre du bateau qui sautent pour nous … c’est toujours aussi magique !

Plus précisément concernant la consommation du moteur : nous comptions sur environ 2L/h de consommation en avançant sur un seul moteur à environ 5nds entre 2200tr/min et 2400tr/min. Nous ne faisons en fait pas tout à fait 5nds et consommons plutôt 3L/h voire un peu plus.

Nous pensions avoir du gasoil pour faire 100h de moteur et environ 500MN si nécessaire alors que nous en avions en fait pour environ 60h et 250MN ! Or nous en avons fait pratiquement 40h à la sortie de la Sicile, ce qui ne nous laissait pas beaucoup d’autonomie en cas de manque de vent par la suite. Il reste près de 300MN et nous n’avons que 100MN d’autonomie au moteur. Il nous faudra donc du vent !

Heureusement le vent revient à 22h, nous pouvons éteindre les moteurs et voguer avec le code zéro avec 6 à 12 noeuds de vent. Pour les quarts on garde le rythme de la veille qui était satisfaisant : Arthur de 22h à 1h puis Magali et Martin de 1h à 4h puis Antoine à partir de 4h jusqu’à midi.

On quitte les côtes de la Sicile et on profite des dernières minutes de 4G avant 2 jours de déconnexion à travers la mer ionienne.

La traversée de la mer Méditerranée par temps calme nous ramène aussi à la dure réalité du flux migratoire vers l’Europe. Tous les jours et nuits où nous étions sous la Sicile nous entendions à la VHF des signaux de détresse de bateau près de Lampedusa et près de la Sardaigne. Nous avons même aperçu mercredi matin une annexe retournée avec une traînée d’essence derrière mais rien d’autre.

L’attitude recommandée pour un bateau de plaisance face à un bateau de migrants en détresse n’est pas évidente : nous devons signaler le problème aux autorités via la radio VHF et attendre les instructions mais nous ne pouvons intervenir spontanément sous peine de se faire passer pour un passeur, mais évidemment, nous devons quand même secourir si le cas se présente directement à nous, cependant les conséquences d’avoir des migrants à bord peuvent vite devenir dramatiques. D’abord dans les interactions avec eux puis avec les états concernés…

C’est là qu’on estime grandement la chance que nous avons d’être nés aussi privilégiés.

Traversée Sardaigne – Grèce Jour 4

Jeudi 11 juillet nous avons dépassé les côtes italiennes au milieu de la nuit et quitté le trafic des cargos qui vont entre Suez et Gibraltar, nous nous mettons au-dessus de leur route pour être tranquille. On en voit un au loin de 350m de long c’est impressionnant de voir ces immenses bateaux qui sont aussi grand que la distance entre notre maison et l’école ! Heureusement ils sont signalés sur le système AIS que nous avons aussi : sur l’écran nous pouvons voir tous les bateaux équipés d’émetteurs AIS avec le détail du type de bateau (cargo, ferry, pêcheur – quand ils allument leur AIS …- bateau de plaisance) sa longueur et largeur, la vitesse et direction. L’ordinateur de bord peut ainsi calculer si on est en route de collision. C’est un outil très pratique pour la sécurité mais qui n’exclut pas la veille visuelle en plus !

L’équipage se porte bien sur cette mer plate. Mathilde peut continuer son cahier de mathématiques, Martin écoute les podcasts des histoires de Tintin (merci aux radios France Inter et France Culture pour tous ces contenus pour enfants). L’après-midi Antoine fait la sieste et Magali organise une séance de gymnastique : trampoline et renforcement musculaire. Il faut dire qu’en traversée on ne bouge pas beaucoup alors il faut penser à se dérouiller régulièrement. Martin nous cuisine un gâteau pour récompenser nos efforts.

Avec toutes ses activités Magali et Arthur ne se sont pas reposés dans la journée… à 20h30 ils sont trop fatigués pour envisager les quarts habituels. Antoine est un peu désemparé mais heureusement Alice est d’accord pour faire un quart toute seule de 21h à 1h (elle en avait déjà fait mais toujours en accompagnement d’un plus grand). Antoine la forme en express et se couche à côté si besoin. Le vent va varier en direction et en force mais Alice gère parfaitement le réglage des voiles et du pilote automatique : quelle championne ! 

Antoine prend la relève à 1h, le vent est plus régulier et il peut profiter du calme pour relire et compléter les articles de la semaine passée. À 4h45 il réveille Magali qui a fait une bonne nuit réparatrice depuis 20h30 et peut gérer le bateau.

Traversée Sardaigne – Grèce Jour 5

Vendredi 12 juillet c’est notre dernier jour de traversée car on devrait arriver samedi matin à Kalamata. Finalement ça passe assez vite ces jours et nuits en mer. Arthur s’est réveillé tranquillement ce matin, il a bien récupéré mais il s’est fait mal au poignet gauche, on se demande comment. Il arrive comme même à aider Antoine dans la matinée à gréer le gennaker (voile légère en forme de ballon adaptée au vent venant de l’arrière). C’est tout un programme car il faut d’abord dérouler le solent puis rouler le code zéro puis descendre le code zéro du mât puis changer les écoutes de position puis monter le gennaker roulé en haut du mat puis dérouler le gennaker et enfin rouler le solent ! Ça fait beaucoup de manœuvres mais on garde toujours une voile devant pour continuer à avancer (c’est surtout la voile de devant qui fait avancer le bateau). 

Aujourd’hui, tout le monde enchaîne les siestes pour pouvoir faire la dernière nuit plus sereinement.

Le vent se maintient correctement jusqu’à 20h mais ensuite c’est calme plat. On dîne en se laissant dériver à l’arrêt, en dessert tiramisu pour récompenser Alice de son premier quart seule. Enfin on profite même de cette mer d’huile pour se baigner à l’arrière du bateau : sous les pieds il y a plus de 4000 m d’eau et pourtant la surface est à 28 degrés !

Le vent revient rapidement et on se remet dans le bon axe en direction du sud du Péloponnèse. Arthur et Alice font le premier quart jusqu’à 1h sous gennaker. Ensuite c’est Antoine qui gère l’arrondi sous la presqu’île grecque et la remontée vers Kalamata avec un changement de gennaker vers solent pour remonter au près (quand le vent vient de face). Vers 3h30 le vent s’arrête et il remet le moteur (et le dessalinisateur avec l’énergie générée). À 4h Magali prend le relais jusqu’à l’arrivée. On vise une place à la marina de Kalamata où on pourra nettoyer à nouveau le sable qui s’est déposé sur tout le bateau, faire le plein de gasoil, faire des lessives et des courses et bien sûr accueillir Jean-Baptiste, Marie et les cousins. Devant le port on appelle la marina qui nous trouve une place pour la journée et qui prévient le camion citerne qui va nous ravitailler. Il est 8h30 heure française (qu’on a gardé pendant toute la traversée) 9h30 heure grecque quand nous amarrons Loela sur la terre ferme après 5 jours et 1h sur les flots.

Quelle aventure cette première grande traversée ! Mais une aventure tranquille avec un vent calme et une mer plate qui a permis à tout le monde d’apprécier ces moments « hors du temps ». Nous avons réussi à arriver juste à temps en Grèce malgré les incertitudes au départ : quand nous arrivions à Kalamata l’avion des cousins décollait … quel timing ! Nous sommes prêts à accueillir les cousins et vivre pendant une semaine à 13 à bord et parcourir 200 miles pour les amener à Paxos. Une nouvelle aventure commence… si tout va bien, nous la raconterons à 13 voix !

6 réponses à « Saison 2 Ep 9 : Traversée Sardaigne – Grèce  »

  1. Super, c’est comme si on y était!
    Mais il faudra tirer au clair cette double consommation de gazole…

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    1. A vrai dire, ce sont surtout mes estimations initiales qui étaient optimistes… depuis je met le moteur moins haut en régime (2000-2200 max) et je compte 4,5nds pour 3L à l’heure. Soit dit en passant ce n’est pas glorieux comme consommation car c’est largement au-dessus d’une voiture en terme de consommation pour une distance puisque ça fait 36L/100km !! Certes on déplace 12t et la consommation se fait lentement (ce qui est le plus gros problème de l’avion, autre remarque en passant). En gros on ne consomme que 2 fois moins vite qu’une voiture (et on va moins loin avec ça)… c’est vraiment important de ne pas faire beaucoup de moteur pour conserver une empreinte carbone raisonnable, mais en Méditerranée c’est compliqué, vous le verrez dans les prochains épisodes…

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      1. Merci Antoine. D’après mes lectures, je tablais sur 3l à l’heure, donc ça colle.
        Notre Nanni 40CV devrait consommer un peu moins que votre Volvo 30CV.

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  2. Avatar de sophieseigneurin2709
    sophieseigneurin2709

    bonjour Antoine et toute la famille

    Merci pour le partage, je prends beaucoup de plaisir à vous lire. J’apprendrai presque à naviguer…. Ahaha. Non je n y connais vraiment rien.

    Votre bonheur fait plaisir à voir et les photos sont superbes.

    Bonne continuation

    Amicales pensées de la trinité sur mer

    Sophie Seigneurin

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    1. Bonjour Sophie, merci pour le commentaire, ça nous encourage à continuer à partager nos aventures. La suite bientôt 😉
      Bonnes vacances au bord de la mer !

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  3. bonjour Antoine et Magali ,

    Merci beaucoup pour ces mots et ces belles photos ! Vous nous faites partager des moments intenses et c’est super chouette ! Je m y retrouve…

    Continuez bien ! Bravo !

    Bises à tous

    Chantal M

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